Jamais il n'aurait cru un jour regretter la guerre. Inévitable pourtant, les conflits constituaient le principal gagne-pain dans le milieu. Et désormais, son ventre n'était plus le seul qu'il devait s'assurer de remplir. On lui dirait certainement qu'il n'en avait pas l'obligation. Que Fleur-de-Lys était une femme mûre, probablement capable de prendre soin d'elle-même. Et Skoll n'en doutait pas. Mais, s'il pouvait lui faciliter la tâche, le mercenaire n'hésitera pas.
Il lui devait bien ça.
Son équipement pour le voyage prêt, il donna quelques indications à la bibliothécaire avant de partir.
❝ Tu devrais avoir assez pour un moment. Le temps que je revienne. ❞ Il tire fortement sur la corde, serrant son baluchon. ❝ Si je ne reviens pas, va voir la guilde. Ils te donneront sûrement quelque chose si tu leur dis que j'ai disparu. ❞
Loin d'être une garantie, juste un espoir qu'il nourrissait. Il attrape son épée appuyée contre un mur. Avant de prendre la porte, dos à la jeune femme et lui adresse une dernière fois la parole :
❝ Merci. Pour la nourriture. ❞
Mais il n'attend pas une réponse pour s'en aller. Il a encore de la peine à lui adresser sa parole sans ressentir honte et gêne. Leurs débuts plutôt houleux restent ancrés dans ses esprits. Malgré tout il tente de chasser ces pensées et se concentrer sur la tâche qui lui incombe. Dans les montagnes, à chasser de potentiel menace à la paix si fraîchement instaurée. Plutôt ironique pour un mercenaire qui ne devrait qu'espérer le retour d'une guerre sanguinaire promettant de rapporter gros. Mais la dernière lui a coûté plus qu'elle ne lui a donné et revivre l'expérience ne faisait pas parti de ses objectifs de vie.
Alors il avait accepté cette mission, pour protéger le Royaume, mais plus encore pour se remplir les poches. Un mercenaire reste un mercenaire. Il n'était pourtant pas assez fou pour s'y rendre seul, malgré la promesse d'une plus grosse récompense. Il se serait pourtant lancé, auparavant. Faisait preuve de son habituelle imprudence, fonçant dans le tas en pensant s'en sortir malgré les risques et les blessures. Mais non, pas cette fois. Il n'était plus seul, désormais.
Alors on lui avait attribué un compagnon de voyage. Un coéquipier, une personne censée rendre sa tâche moins ardue. Aucunes informations ne lui avaient été communiquées quant à l'identité de cet individu et il n'avait pas cherché à savoir plus. Il ne comprenait que trop bien le besoin de dissimuler son identité.
À l'entrée de la ville, Skoll attendait donc cette fameuse personne. Il espérait pouvoir la repérer aisément et terminer cette mission aussi vite que possible.
Tout cela que rien ne se passait jamais comme prévu.
Capeline sur le crâne, rideau supposé empêché l’entrée dans ses jardins secrets de qui que ce soit qu’elle n’aurait pas désiré y voir, Trudi attendait. Faciès dissimulé par une pièce de bois conçue de ses mains abimées, seuls ses deux yeux, moroses océans, passait au travers en deux fissures inégales. Nul ne pouvait deviner ce qu’il pouvait bien en être, sous ces couches de vêtements et Trudi en était bien satisfaite ainsi. Désirs absents de se lier à qui que ce soit, malicieux autrui qui n’auraient rien eut de commun avec son actuelle vie.
Solitaire.
Mais la guerre pouvait éclater de nouveau et l’instinct l’avait fait se mouvoir contre cette hypothèse. Non, pas encore. Par pitié. Le cauchemar de revoir ses mains gorgées de ces sangs qui n’étaient en rien le sien lui serra la gorge instamment, étau glacé contraignant sa respiration. Ainsi donc elle s’était levée, le pas décidé. Ce n’était pas un ordre de Wellington, cette fois. Trudi agissait. La chienne de guerre explorait ses sentiers intérieurs, délaissés depuis tant d’années. Là, une seule certitude errait, spectre pâle dans cette forêt mentale.
La guerre ne devait pas reprendre.
Pourtant des dissidents semblaient ignorer l’accord de paix et tout ce qu’il en découlait. Trudi avait ressenti ce besoin de les arrêter. Bien que les difficultés pour quitter sa forêt furent nombreuses, l’Ermite tâchait de s’accrocher à sa volonté neuve. Il ne fallait la laisser filer. Jamais. Trop de choses jusque-là lui avaient échappées. La chevalière ne voulait plus recommencer. Jamais plus.
Ainsi l’attente avait débutée.
« Regarde ! Une fleur ! » Ses yeux s’ouvrent sur une vision étonnante ; un petit bonhomme à ses côtés qui semble la regarder ; visage flouté. Une plante lui est tendue et sans bien y réfléchir, ses doigts se referme sur la tige tranchée à la va-vite. « Oui, c’est une fleur-de-lys, ma préférée ! » Elle entend une voix. Sa voix. Écho lointain qu’elle ne comprends plus vraiment, ne distingue pas non plus. Que se passe-t-il ?
Sursaut brusque.
La chaine de montagnes se repend de nouveau sous son regard bleu. A travers son masque, elle calme sa respiration. Ah. Un souvenir, rêve éveillé, particule éphémère de son passé, sans doute. Alors elle s’interroge, elle qui est incapable d’accrocher un événement à ce qu’elle vient de voir. Qui était ce petit garçon ? Pourquoi s’était-elle sentie envahie toute entière d’une chaleur toute particulière ? Comme s’appelait-il ? Tant de questions qui n’eurent guère réponse. Certainement pas maintenant qu’elle n’était plus seule.
Un colosse se montra présent.
Sans doute son partenaire pour cette mission. Elle aurait préféré y aller seule, mais il en était ainsi. Et, en soit, tant qu’elle n’était pas entourée d’une armada d’âmes humaines, alors elle pourrait tâcher de se contenir. « B-bien, alors… allons-y. ».
Masque dissimulant son visage, Skoll savait. Cette personne était celle qu'il cherchait — si seulement savait-il réellement —, celle qu'il l'accompagnerait durant ce voyage. D'un pas décidé il s'approche, ne laissant pas la façade de bois l'intimider. Il ose même plonger son regard dans celui de l'inconnu, se sent presque même obligé de le faire. Comment, pourquoi, il ne sait pas. Il sent juste son attention attirée, happée sans qu'il ne puisse y faire quoi que ce soit. Regard fixé, il ne sort de sa transe que lorsqu'elle fait entendre sa voix, le pressant de partir.
❝ Oui... Allons-y... ❞
Il se fichait pas mal de l'identité de son compagnon. Mais apparemment, la rencontre le chamboula suffisamment pour que la curiosité de l'envahisse. Il tentait pourtant de faire fi de son questionnement, la mission étant bien plus importante pour le moment. Bien que perturbé, le mercenaire n'avait pas perdu son aptitude à se retrouver dans ces montagnes. Il n'en connaissait certes pas tous les recoins, mais restait familier avec une grande partie, qu'il espérait suffisante pour retrouver l'unité de reconnaissance. C'est tout naturellement qu'il prit les devants, sans consulter son acolyte. Si elle trouvait quelque chose à redire, elle le ferait pas vrai ?7
... Juste pour une excuse pour entendre sa voix une nouvelle fois ?
Absurde. Alors qu'il s'apprêtait à s'enfoncer dans les montagnes, laissant derrière eux la civilisation, Skoll s'adressa à son coéquipier — coéquipière ? — sans pour autant se retourner.
❝ Ont-ils donné d'autres informations ? Leur dernière position par exemple ? ❞
Phrase volontairement construite de manière à ce qu'il n'ait pas à choisir entre le tutoiement et le vouvoiement. La seconde option aurait été la plus logique, mais quelque chose l'en empêchait, quelque chose l'en dissuadait. Et cette question qui lui brûle la langue, qu'il avait fait au mieux pour retenir pour finalement céder en lui accordant enfin un regard en coin.
❝ Comment je dois m'adresser à.... Vous ? Un nom ? Un titre ? ❞
Une manière d'en savoir plus, une façon de satisfaire sa curiosité.
Il regrette presque instantanément. On ne porte pas un masque pour ensuite répondre à des questions comme celle-ci. Skoll n'était pas le plus brillant des hommes, mais il n'avait pas l'habitude de faire ce genre d'erreur. Surtout que cela faisait bien dix ans qu'il était dans le métier. À force, il devrait être habitué.
Mais cette personne le perturbe, cet individu le chamboule. Sans qu'il ne sache dire pourquoi, sans qu'il n'ait une once d'idée concernant la raison de son état.
Pourtant il devra faire avec, qu'il le veuille ou non, jusqu'à la fin de la mission, quelle qu'elle soit.
Solitude brisée ; pour la bonne conduite de la mission il n’y avait pas eu d’autre possibilité amenée. C’était étrange. Ses pensées semblaient s’agiter, danser sur la piste de son esprit endolori par les années de batailles. Trudi sentait avoir déjà été dans ce genre de situation. Différemment. Sans doute. Mais le manque de choix était une chose qui lui parlait, un peu. Vague murmure dans un océan d’obscurité, ne lui donnant aucune indication claire sur comment se diriger convenablement.
Derrière sa protection de bois, elle laisse l’homme entamer les hostilités. Il fallait retrouver ces rebelles opposés à cette paix tant désirée ; puisqu’il semblait savoir comment s’y prendre pour se diriger par ici, autant ne pas encombrer son chemin. L’Ermite ne s’attendait tout simplement pas à devoir faire la conversation. Un simple mouvement de tête, de gauche à droite, pour signifier son ignorance sur où pouvait se trouver leurs cibles et elle se pensait sortie d’affaire.
Erreur.
Un nom. L’inconnu voulait un nom. Quelque chose par quoi la nommer. Trudi laissa ses réflexions prendre le dessus. Son prénom, elle ne voulait pas le divulguer. Pas à un étranger de la sorte. Pas avec une personne dont elle ignorait tout.
Sauf que.
Elle n’avait d’autres noms à sa disposition. Ou peut-être que… « L’Ermite. » lâcha-t-elle dans un souffle, presque soupir écorché par les lames de l’angoisse savamment dissimulées dans sa gorge. « C’est… C’est ainsi qu’on m’appelle… » De toute manière, qui à part ses pairs pourrait avoir quelque chose à faire de son identité ? Elle n’était qu’animal de guerre, dressée pour tuer, arrachée à un passé qui n’avait plus que de floues contours pour ses mémoires. Quelque part, au fond d’elle, c’était le désespoir qui prédominait.
C’est un froissement d’ailes qui attira son attention, de nouveau. Un oiseau bleu, au fin collier de plume sombre et au bec rouge, vint se poser sur sa tête, laquelle se retrouvait toujours couverte de sa sombre capeline émeraude obscure. « Qu’est-ce que tu fais ?! Qu’est-ce que tu fais ?! » Tonna le petit volatile tout en sautillant sur le crâne de la chevalière. Cette dernière ne put que laisser échapper un « Oh… Suuki. » en reconnaissant le petit être.
Un soudain malaise s’empara d’elle alors que d’une main abimée, elle vint caresser le plumage de ce compagnon improvisé. « D-Désolée… C’est mon oiseau, Suuki. Il m’a retrouvé… » Pourtant, elle avait voulu le laisser en sécurité dans sa forêt ; loin de tout danger. Visiblement, cette pensée n’avait guère été partagée.
Il va finir par croire qu'il avait un don pour mettre mal à l'aise toute personne le côtoyant. Ou lui adressant simplement la parole. Loin d'être dupe, il voyait bien la contrariété de son compagnon de route qui ne semblait pas très bavard. Parfait, il ne l'était pas non plus. Mais il faut croire que cette fois-ci était une exception. Parce qu'il n'avait pas l'habitude de poser autant de questions. Pas l'habitude de s'intéresser autant aux personnes qu'il ne reverra sans doute jamais.
❝ L'Ermite... Bizarre comme titre. ❞
Ignorance et manque flagrant de tact, attention Skoll tu risques bien de vexer ta coéquipière. Mais il ne semblait pas se rendre compte que l'insensibilité dont il a pu faire preuve à ce moment-là et se mure dans un silence qui lui est agréable. Mais ce sera un calme de courte durée, chamboulée par l'arriver d'un... Oiseau ? Magnifique en plus, qui semblait très bien s'entendre avec l'individu masqué. Des excuses lui sont présentées, excuses qu'il ne juge pas utile étant donné qu'elle n'était pas en faute. Et même si elle l'était, qui était-il pour l'empêcher d'emmener un animal en mission ? Tant qu'il ne finissait pas sous sa responsabilité...
❝ Il vous a... Retrouvé...? C'est un animal de compagnie ? ❞
Autant poser la question, car il avait déjà entendu parlé de ces personnes partageant des liens étroits avec des animaux, sans pour autant en faire d'eux des animaux de compagnie justement. Une pointe de jalousie peut-être, sachant que lui-même n'a jamais été capable de se lier à un animal quelconque. Ils ne l'ont jamais aimé. Mais encore une fois, il existe bien peu de personnes qui l'aient aimé. Elles avaient toutes quitté ce monde. Tous sauf une, peut-être.
❝ Je connais quelques lieux où ils pourraient se dissimuler. ❞ Œillade vers l'animal ailé. ❝ Mais ce ne sera pas très sûr pour lui. ❞
Il aura beau dire qu'il s'agissait du cadet de ses soucis, Skoll ne serait pas particulièrement enchanté à l'idée de voir cet oiseau mourir. À y regarder de plus près, il était plutôt mignon en plus.
Non loin, tapis dans les montagnes, une menace gronde. Ils ont été traqués durant de nombreux mois et cette fois ils sont cernés. Derrière, les cols montagneux, trop abruptes et hostiles que pour y rester indéfiniment. Devant, les limiers des princes électeurs leurs donnaient la chasse. Ils sentaient leur fin arriver, mais tel un loup, ils n'en étaient que plus dangereux.
Ils n’étaient plus que quatre et l’un d'eux était gravement blessé à la jambe. Ils avaient dû s’arrêter pour le soigner mais la fracture qui, à l’origine, aurait pu être guérie avec quelque onguent, devait maintenant être amputée. Cela les immobilisera pendant plusieurs jours…Les cris s’entendront sans doute aussi…Mais pas le choix, il fallait le soigner.
Un cri puissant retentit dans la montagne et disparait, comme étouffé par des mains puissantes. Peut-être l'aurez-vous entendu ?
Bizarre. Ce fut le seul mot qui resta gravé dans les limbes de ses esprits, quelque peu accaparés par l’arrivée inopinée de l’oiseau sur son crâne. Bizarre. Oui, peut-être l’était-elle, au final. Peut-être n’était-elle plus que cela, d’ailleurs. Bizarre. A vivre recluse dans sa forêt, à ne plus savoir à quel cauchemar se vouer pour remonter la source de ses angoisses, c’était là la plus exacte définition qu’elle avait eu de sa personne, de sa situation jusqu’à présent. Bizarre.
La peine crachota son venin sur le cœur de la chevalière, lui donnant l’impression que ce dernier se serrait inexorablement. Cette tension ne lui plaisait guère, mais elle sut qu’il lui fallait prendre sur elle. Pour ne pas tout faire rater. Le bien-être de l’Armistice était peut-être entre ses mains. Concevoir un impair maintenant était aussi inconcevable que c’était dangereux. Ses yeux se plissèrent un peu sous le bois de son masque. Elle allait répondre à l’homme à propos de Suuki, que l’oiseau irait bien malgré tout, mais rien ne vint.
Ou plutôt, si. Un voix. Un hurlement. Traversant Trudi, pareil à un couteau impie, il glaça ses sangs et la fit trembler. Pourtant, l’Ermite savait désormais qu’ils étaient, plus que jamais, sur la bonne voie pour leur mission. « A-Allons-y ! » clama-t-elle tandis qu’elle prenait l’initiative de l’avancée, pour une fois. Son volatile, lui, avait décollé et la suivit à tire-d’aile, apparemment guère inquiet de la lourde ambiance régnant dans ces sous-bois.
L’Ermite se demandait à présent quoi faire et comment le faire pour que cette menace à sa propre tranquillité prenne fin. Devait-elle déverser son acide directement là où le cri avait tonné ? Ou devait-elle se montrer moins radicale et plus humaine ? A vrai dire, elle ne le savait plus. Tout était si différent de la guerre qu’elle ne se souvenait plus de comment agir dans ce genre de cas.
Pas de réponse. Skoll n'allait pas perdre de temps en insistant. Ce n'est pas lui qui allait verser des larmes si l'animal les quittait prématurément. Et faire un détour était hors de question. Après tout, le mercenaire n'était pas certain que les maigres réserves restant suffiraient à entretenir Fleur-de-Lys.
Il commençait à peine à se morfondre en pensant à toutes les complications qui pourraient l'importuner, qu'un cri perçant interrompit le fil de ses pensées. Par réflexe, il enserra la poignée de son épée, prêt à l'arracher de son fourreau. Mais l'homme n'eut le temps de faire plus avant que son compagnon de voyage ne s'élance en direction du son après avoir sorti une exclamation qui ne manqua pas de le surprendre. Il reste là un instant, la regardant s'éloigner petit à petit.
Comme lorsqu'il était enfant.
Skoll secoue la tête, chasse bien vite cette image de son esprit. Et dans un grognement agacé, il se lance à la poursuite de l'individu masqué. S'il l'auteur de ce cri faisait partie de leurs cibles, il ne faudrait surtout pas qu'elle fasse l'erreur de les alerter.
❝ Attendez ! ❞
Malheureusement, il était probablement déjà trop tard et il fallait dire que cette personne était relativement rapide. Au final, il devra sans doute aviser le moment venu. Car rien ne se passer jamais comme prévu, évidemment. Pourtant, Skoll ose la toucher, il ose attraper son bras pour stopper sa course. Ils se rapprochaient de leurs cibles — du moins il l'espérait — et il serait peut-être judicieux de se regrouper. Tenter de limiter les dégâts, pour dire autrement.
❝ Vous ne pouvez pas vous précipiter comme ! Dans les montagnes en plus ! C'est dangereux ! ❞
Plus il avançait et plus Skoll avait l'impression de s'en faire pour le premier venu.
C’est fort. C’est chaud. Et pourtant, c’est aussi tendre et presque affectueusement froid par ce temps.
C’est un contact qui submerge tout ce qui se passe alentours. Trudi se sent être arrêtée brusquement dans son élan, se sent être prise au piège de cette poigne puissante qu’elle ne parvient pas à craindre pour autant, se sent écrasée par les souvenirs du même genre. Son cœur dérape, rate un battement. Et sa terreur, elle, se libère quelques instants dans ses veines, comme pour lui rappeler ce douloureux passé qu’elle voudrait oublier.
« LÂCHEZ-MOI ! » Elle se dégage avec violence, véhémence. Instinct de survie. Les derniers l’ayant ainsi entravée n’ont eu de cesse de la malmener, de la violenter. De la torturer. L’acide à laquelle ils l’exposaient rongeait ses chairs, ses veines. Elle perdait tout ce à quoi elle tenait, son identité presque intégrale ainsi que les souvenirs chéris tel un graal.
Sa respiration est saccadée à mesure qu’elle reprend pourtant pied avec la réalité. Aucune menace de ce genre en présence, ici. Aucun tortionnaire, aucun tisonnier brûlant pour marquer ses chairs. Rien que ce mercenaire et sa mission actuelle. Pour préserver la paix et sa muselière de chienne de guerre. Ses épaules tremblent mais elle tâche de se contenir. Elle ne doit rien laisser au hasard. Pourtant elle ne prend pas le temps de remettre en place sa capuche, déserteuse. Sa chevelure grisargent vole dans le vent, la brise sordide de ce lieu. Heureusement son masque est, quant à lui, toujours en place.
Elle ne doit pas perdre son objectif de vue. Suuki, lui, vole lui aussi un peu plus haut, sans doute intrigué par sa réaction. « Je… Je veux dire, nous devons nous occuper de la mission. Je saurais me débrouiller seule. » Une si grande phrasée, qui la sortait de ses propres sentiers, de a zone de confort. Mais si pour avancer, elle devait se violenter, alors elle n’hésiterait pas un instant.
« Gnh ! » Et puis, la douleur fugace qui transperce son crâne. Elle voit des images, comme tout à l’heure. Cet enfant au visage flouté. Il est là, il s’éloigne. On l’empêche de la rejoindre. « TRUDI ! » Il connait son nom, il pleure sa présence. Son cœur tambourine après son échec précédent. Lui restait-il seulement quelqu’un au monde qui l’attend ?
Elle ne peut se permettre de tergiverser plus longtemps. Alors, tant que sa détermination ne fane pas, la voici qui s’élance, se jette vers l'origine du bruit. Acide sur la paume, elle espère en finir rapidement. Ses pas se perde sur les parois de cette grotte.
Surprise sans en être une en soit. Ils s'attendaient à une attaque. Ils s'attendaient à être débusqués. Ils savaient qu'il leur restait peu de temps. C'était agaçant. Ils s'en voulaient presque de ne pouvoir rien faire de plus qu'attendre. Il fallait attaquer, surprendre l'ennemi.
Un craquement. Bruit subtile de pas. Les couteaux étaient lancés mais la fatigue et le stress combinés ne font hélas pas bon ménage. Les armes blanches ne frôlent même pas leurs assaillants et tombent en arrière, loin, trop loin que pour pouvoir espérer les récupérer. Ils finirent par sortir des armes plus lourdes, l'un à une épée et l'autre une arbalète, prêt à en découdre.
Une réaction aussi violente qu'inattendue. Elle qui s'était montrée si effacée jusqu'à maintenant venait de lui prouver qu'elle n'était pas dénuée de tout sentiment. Détail qui aurait pu être rassurant si le mercenaire n'était pas aussi ébranlé son emportement. Tellement qu'il ne put s'empêcher de la fixer longuement, les yeux légèrement écarquillés. Regard posé sur sa chevelure, sa couleur qui lui rappelle tant de souvenir, mais...
Impossible. Ce n'était tout bonnement pas possible. Ça ne pouvait pas être elle, elle n'était pas la personne qu'il recherchait si désespérément depuis tant d'années. Un court silence s'installe, Skoll ne parvient à articuler de quelconques excuses. Il se contente de l'écouter parler comme si rien ne s'était passé et de hocher la tête. Ils devaient rester concentrés sur la mission. Ils ne devaient pas oublier leurs priorités. Un instant, il remarque la douleur sur son visage.
❝ Que... Vous allez bie- ❞
Il n'a pas le temps de terminé qu'elle s'élançait déjà à la poursuite de leurs cibles. Le mercenaire ne cachait pas son irritation, lâchant même un grognement frustré alors qu'il se lançait à sa poursuite. Une nouvelle fois.
Leur arrivée dans une grotte ne fut pas une surprise pour lui. Il s'agit d'un lieu de prédilection si l'on cherchait à se cacher. Enfin, leur mission toucherait bien à sa fi- Le bruit du métal s'écrasant au sol interrompt ses pensées. Un regard rapide vers l'origine du bruit et Skoll comprend qu'ils sont attaqués. L'ennemi avait engagé le combat alors qu'il était distrait.
Cette situation ne lui convenait pas. Pas le moins du monde. Peinant à contenir sa colère, le mercenaire arracha son épée de son fourreau et s'élança vers la personne portant une arme similaire. Il espérait que sa partenaire de mission saurait s'occuper de l'autre cible.
La résistance avait tenté de s’élever. S’insurger. Renverser. Mais aucunes de leurs actions premières ne fut couronnées de succès ; bien au contraire. Filantes comme des étoiles blessées, les dagues propulsées en direction de la bête de guerre et du mercenaire s’échouent lamentablement à terre ; dans un cliquetis déconcertant, décevant. Ce n’est guère ce métal qui incisera la chair de Trudi, ce ne sont pas ces armes-ci qui lui causeront préjudice. Loin de là.
Déjà, le mercenaire s’élance vers son paire, porteur d’un glaive tout aussi solide que le sien. La chienne de guerre révoquée sait ce qu’il lui reste à faire. Se battre. Son sang brûle ses veines, fait galoper son ceux au rythme de ses souvenirs, de sa rancœur. Des hurlements de la guerre qui soudainement lui reviennent. Si rien n’est fait, ce genre d’énergumènes pourrait relancer la machine infernale. Pourrait. Cette hypothèse est déjà trop, cette possibilité lui ronge l’os de sa tempérance.
Trudi se fait incendiaire, malgré les larmes roulant sur ses joues. Elle aurait voulu ne plus jamais avoir à tuer. Mais il était trop tard pour reculer. Il fallait effacer cette menace au plus vite ; peu importait le reste, finalement. Alors, dans un souffle et quelques arabesques des mains, l’Ermite élève un mur acide devant elle, bouclier difficilement traversable puisque composé de manière corrosive. D’une main, elle le maintien. De l’autre paume, posée sur le sol, elle prend soin d’acidifier une partie du sol de la grotte.
Faisant en sorte d’éviter à son compère de se retrouver les pieds dans cette mixture bouillonnante et meurtrière, elle a fait le serment de débarrasser Aziel de toute trace de la guerre. « Je suis désolée… »
Malgré tout, ses sentiments nouvellement acquis se bousculent en elle ; déconcentre sa précision. Elle ne se rend pas compte que le plafond de la grotte, sous l’effet de son acide, craquèle, lui aussi.
Panique, précipitation, dépit, mort. Voilà ce qui les attendaient. Acculés ils se sont armés. D’empressement ils ont ratés leur meilleure opportunité. Et maintenant voilà que le destin s’acharne.
Un épéiste, aussi doué qu’il soit n’est qu’un danger gérable pour trois hommes entrainés, mais ça… Ça, c’était de trop. Un mur d’acide nous barrant la route, nous avions tous compris qui nous avions en face de nous. Et ils étaient deux…Et si l’autre était également l’un d’eux ?
Dans un combat, une hésitation peut s’avérer mortelle. La question qui lui passa par l’esprit à ce moment-là, le fait de se demander si son adversaire pourrait d’un instant à l’autre sortir des flammes ou de l’acide de sa lame, cette hésitation-là, il la paya très cher. Lacéré, au bord de la rupture, il n’en avait plus pour longtemps.
Regardant à droite et à gauche pour chercher de l’aide. Il ne trouva pas le soutient tant désirée, il ne vit que ses deux compères, paralysés par la peur, subjugués par le mur corrosif qui venait de se dresser face à eux. Étais-ce réellement la fin ?
