Le Jugement ❧ terminée

Toute l'histoire de Juliette de Fallois est racontée sur du papier, sur le vif et sans relecture. Cachée aux yeux de tous dans une boîte en bois de Versalis, fermée à clé. Cette clé, Juliette la porte comme bague, serrée à son annulaire gauche, avec l'impossibilité de s'en séparer -sauf si elle décidait d'y couper son doigt- On y trouve les anciens carnets intimes, où déjà petite elle racontait ses journées, des feuilles volantes avec quelques notes et d'autres livres avec des remarques écrites ça et là. Mais aussi un livre à la teinture légèrement bleutée par la fleur de Piralombo. C'est à l'intérieur que Juliette y inscrit ce qui doit être tenu secret. Tous les détails y sont, l'écriture est rapide, quasiment illisible contrairement aux autres feuilles blanches où l'encre est posée délicatement sur le papier. Ici, la douleur de ces dix années enfermées, torturées, brisées, sont inscrits sans réel ordre chronologique ni logique. C'est seulement à partir de souvenirs diffusés par des flashs lorsqu'elle dort qu'elle peut écrire tout ça. Elle se lève en pleine nuit et écrit avant d'oublier. Certaines phrases ne se finissent pas, la main devenant aussi hésitante que la mémoire. Parfois cela devient trop dur qu'elle préfère rayer ou arracher la page. Bien sûr Juliette ne raconte pas tout ça au monde entier, mais le fait d'écrire lui permet d'oublier, sachant qu'elle ne relit jamais ce qu'elle vient d'écrire. Parfois ses souvenirs ne reviennent plus, elle peut rester plusieurs jours sans y penser, voir des mois. Avant que cela revienne, sans crier gare. Le Jugement, tel est son nouveau nom et sa nouvelle personnalité. L'image d'un être neutre mais qui peut se montrer intransigeant. Lorsque la Cour a jugé coupable, impossible de revenir en arrière. Mais Juliette se souvient qu'elle s'appelle Juliette. Elle vit dans le manoir de son enfance, monte le vieux cheval qu'elle avait nommé Lulu à l'âge de ses onze ans et garde précieusement ses journaux intimes d'avant. L'Avant. C'est comme ça que certains chevaliers appellent leur passé. Tandis que certains ont tout oubliés, malgré eux parfois, d'autres préfèrent simplement ne pas y penser. Juliette aussi veut oublier, c'est loin à présent. Mais elle a toujours voulu garder souvenir de tout, de ses sentiments, de ces moments passés avec son père et son grand-père, de cette guerre dans laquelle elle a toujours baigné et qu'aujourd'hui elle ne vit plus depuis un an. Mais comment oublier ?
Le Jugement ne dit rien, reste silencieux. Juliette ferme la boîte avec tout ce qu'elle peut contenir, et la cache sous un faux plafond de son armoire.