{Avant l'armistice} "Hello, it's been a while, isn't it?" • SAEED

Le sang recouvrait son visage et son corps, masque mortuaire qui paraissait l'apprécier à sa juste valeur macabre. Sa mission désormais achevée par ici, l'Ermite pouvait disposer et rentrer au foyer; aux pieds de son maître; Harper Wellington. Elle devait faire son rapport et établir combien de guerrier ennemis elle avait dissous dans son ire acide. Pour le bien d'Aziel. Encore et toujours la même rengaine.

Son visage inexpressif fixait l’eau de la rivière toute proche. Après avoir vérifié que personne n’était dans les environs, Trudi se défaussa de ses vêtements, les uns après les autres. C’est sans un sursaut qu’elle plongea son corps dans l’entièreté de l’eau glacée, s’enfonçant sous les flots pour mieux sentir l’humidité la gagner de part en part. Remontant à la surface, tignasse inondée, Trudi entama ensuite un processus de nettoyage sur son propre corps. L’eau froide lui convenait parfaitement pour cette tâche.

C’est à cet instant qu’elle crut entendre un son dans son dos, trahissant une présence. Mais cela aurait tout aussi bien pu être un faon ayant marché sur une branche. Elle ne pouvait être sûre de rien.

Ah. La Mort.

Maîtresse des glaces, Souveraine de l’autre-monde et de sa froide température. L’Ermite la reconnaissait. Plus d’une fois les deux femmes avaient eu à faire équipes durant les années de guerre qui ne semblaient point vouloir s’adoucir avec le temps.

Deux âmes. Volées, tronquées, malmenées. Dressées pour tuer.

Le regard de l’argentée ne vacilla nullement. Habituée à observer puis à calculer comment s’y prendre pour agir, elle attendait simplement des mots pour comprendre la raison de la présence de sa comparse en ces terres. « Bonjour. » Familiarité arrangée, politesse artificielle mais de circonstance. Il en était ainsi, bien souvent, au sein de l’Ordre des Chevaliers.

Lorsque la raison de sa présence ici fut invoquée, Trudi laissa un instant de flottement s’emparer d’elle. Que faire ? « J’ai terminé ma mission. » Ce groupe rebelle lui avait causé plus de tort qu’elle ne l’aurait imaginé, en témoignait la coupure fine à sa hanche, qu’elle avait cautérisé avec une part légère de son acide pour éviter les hémorragies en tout genre. « Je suis supposée faire mon rapport au Colonel Wellington. »

Sauf que la présence d’une telle compagne, camarade de souffrance, ici-bas, juste à côté d’elle, lui sommait presque de ne pas partir ainsi. La Mort pourrait avoir besoin de l’Ermite. « Que devrais-je faire ? Wellington serait-il satisfait si je t’accompagne ? » Est-ce que le maître serait content de voir sa fidèle créature prendre de telles initiatives ? Est-ce qu’il agirait un peu moins durement avec elle, par la suite ?

Trudi ne le savait pas, d’où son interrogation. Mais il n’y avait pas que cela qui attirait alors son attention. Ni son regard glacé, dépourvu de la moindre chaleur. Machine à tuer. « Tu te rendais dans les montagnes ? » Peut-être que, tout simplement, la Mort ne souhaiterait s’encombrer d’une présence supplémentaire. C’était envisageable. Trudi ne souhaitait guère gêner ses confrères et consœurs dans l’achèvement de leurs missions divers et variées. Elle avait été éduquée à pouvoir être remplacée à tout instant. Pas à gêner.

Ensemble. Présence utile à la cause. Actions pour le bien d’Aziel.

Les mots de sa consœur étaient profondément sages, infiniment réfléchis. Trudi savait bien ce qu’il en était ; elle qui avait, il n’y a guère si longtemps encore, nettoyait ses mains du sang des abattus il y a peu. La réflexion s’opère alors qu’elle s’extrait des eaux froides de la rivière. Ses doigts s’emparent bientôt des vêtements laissés sur la terre ferme. L’Ermite n’attend d’être séchée totalement pour les enfiler. La toile absorbera l’humidité, ce n’est guère cela qui va la gêner.

« Bien. Je te suis. » Wellington pourra en effet avoir vent de son initiative auprès de la Mort. Après tout, deux soldats valaient mieux qu’un pour stopper l’insurrection, non ? « Tu n’as pas besoin de me couvrir, je ferais comme tu as dit pour justifier mon action. » En priant pour que Wellington la pardonne. Cette pensée la mettait en confiance, l’empêchait de trop penser au reste. Présentement, son esprit était si embrumé, tailladé, gelé dans ses chairs qu’elle ne parvenait même plus à ressentir la peur que lui inspirait Harper Wellington. Tout cela lui reviendra bien assez tôt lorsqu’il sera devant elle en chair et en os. Là, elle redeviendra la sage petite créature avalant les ordres sans les discuter. Là, elle sera de nouveau la plus soumise des damnés. Mais les choses n’étaient pas encore là.

Pour l’heure, le chien se laissait distraire de sa piste, pour une proie bien meilleure.

Mais, plutôt que de laisser son corps aller et venir sous les rythmes entrainés du cheval, elle préfère marcher à ses côtés. « Je te suis. » Se sachant pourvue d’un entraînement à la hauteur de ce qui pourrait apparaitre comme un caprice, l’Ermite sait qu’elle pourra courir plus vite ou bondir suffisamment bien pour combler la distance d’un petit trot. Elle ne montera sur le dos de cette bête que si le besoin et la cavalcade s’en font réellement sentir. « Quels sont les détails de ta mission, donc ? »

Le chien voulait savoir comment aiguiser ses crocs. Car on ne dévore par un lapin comme on le fait avec un bison. Il était primordial qu’elle sache comment amener ses actions futures.