La guerre épuise tout, que ce soit incarné en chair ou en tissu tendre, rien n’est épargné par cette broyeuse entité. L’Ermite était forcée, contrainte de quitter sa forêt où elle se sentait en sécurité. N’ayant aucune notion de couture, il lui avait fallu se plier à l’évidence. Le peu de vêtements restants n’étaient plus que guenilles déjà bien rapiécées. Elle ne pouvait décemment rester ainsi. Il lui fallait de quoi rester dissimulée du monde. Et sa capeline n’était point apparat de tous les jours. Elle ne la portait bien que pour ses rares sorties hors de chez elle, de sa nouvelle demeure.
Après de pénibles trocs, l’ancien chien de guerre avait obtenu assez d’argent en échange de ce qu’elle avait apporté depuis sa résidence naturelle pour tenter de dénicher quelques fripes abordables. Encore fallait-il être en mesure de trouver quelque chose de potable et surtout… d’à sa taille.
Car sa frêle corpulence ne seyait guère à énormément de marchands de vêtements. Trudi ne pouvait leur en vouloir, elle qui avait conscience de ne pas être ‘normale’. Plus maintenant. Si tant est qu’elle l’avait un jour été. C’était encore une autre histoire que celle-ci.
Relâchant, déçue, le tissu d’une robe bien trop large pour ses épaules, l’Ermite se sentit alors de moins en moins à l’aise. Il y avait de plus en plus de monde, ici-bas. Elle n’aimait pas la foule. Plus maintenant. Même si elle était toujours ce danger. Même si c’était inscrit dans ses veines. Même si l’acide continuait de la ronger à petit feu.
Rabattant sa capuche sur le haut de son crâne, elle entreprit de marcher jusqu’à un endroit un peu moins peuplé, où elle espérait, cette fois, trouver son bonheur. Évitant le regard des gens comme la peste, Trudi n’avait qu’une hâte, rentrer chez elle. S’isoler.
Boris Prontuq, marchand étranger qui avait fait fortune en profitant de la fin de la guerre. Homme qui était aujourd’hui ma cible. J'avais passé plus de trois semaines à observer ses positions, ses habitudes, avec qui il commerçait et surtout à quel moment il était seul. Il allait toujours dans les mêmes endroits chaque semaine. C'était dans la ville d'Aglasse où il était le plus vulnérable, il se séparait de ses gardes du corps... Enfin mercenaires lorsqu'il était dans les rues commerciales. Il avait l'habitude de rester dîner chez un commerçant avant de repartir en fin de soirée pour se rendre à la taverne. C'était là que je devais agir car il y avait une ruelle non loin dans laquelle je pouvais attendre. Lorsque les commerces fermaient, j'attendais, tapis dans l'ombre avec mes ciseaux aiguisés. J'aimais tellement cette arme de crime ! Ah... L'excitation avant le crime était vraiment la meilleure ! Si j'avais bien calculé il ne lui restait que deux heures à vivre.
Le temps passait lentement mais comme tout assassin la patience est importante. Patience qui fut récompensée lorsque ma cible, aussi imposante soit-elle venait de prendre la route en direction de la taverne. Il fallait agir vite. J'enfilais mes gants et me glissais dans ma cape fait maison pour dissimuler mon identité avant d'observer si la rue était déserte. C'était maintenant ou jamais ! Après l'avoir observé depuis un moment je connaissais l'avarice de cet homme, sortant de ma poche quelques pièces, je les jetais au milieu de la rue. Sans doute déjà un peu en état d'ébriété il se retourna lentement avant de venir en ma direction. C'était l'heure du grand spectacle.
Sans un mot j'apparaissais devant lui, il ne disait rien, il avait un regard un peu bête, Aglasse avait la réputation d'avoir l'un des meilleurs alcools d'Aziel et cela m'arrangeait. « Je vous vois en double … Monsi...»
Je ne lui laissais pas le temps de finir sa phrase, il était trop bruyant même si c'était le début de la nuit. D'un geste précis je l'entaillais au niveau de la gorge, c'était net et sans bavure. Le bougre s’effondra sur le sol et là je savais que je n'avais plus beaucoup de temps pour agir. Je le plaçais stratégiquement au milieu de la rue et lui ouvrait sa grande gueule, il y avait encore des restes de nourriture, c'était dégoûtant... Mais on m'avait demandé de faire quelque chose en particulier. Prenant une bourse bien remplie accrochée à ma ceinture je la déversais dans la gorge du bougre jusqu'à ce que l'or déborde de sa bouche. Je me levais pour contempler mon oeuvre puis, entendant des voix au loin je décidais de fuir dans une allée non loin.
Je soupirais, l'organisation allait avoir écho de mes actes et me paieront en conséquence, j'ai hâte de pouvoir tout dépenser ! Décidant de me faire plaisir je me rendais vers la taverne que Boris allait rejoindre avant de perdre la vie. Elle était beaucoup plus petite que celle du Pearl's Song mais il y avait de jolies serveuses et danseuses. Il y en avait une que j'avais déjà courtisé par le passé et ce ne fut pas difficile de finir avec elle dans l'une des chambres de l'auberge qui se trouvait non loin. Une nuit courte mais mémorable comme toutes les autres. Je dormais avec l'esprit reposé après tout j'avais fait mes deux activités préférées en une nuit.
Pourtant en sentant le soleil frappait mon visage, je me réveillais en sursaut comme si je sentais que quelque chose n’allait pas. Le souci et pas des moindres était l'absence de mes vêtements. CETTE ... Sale serveuse ! Donc récapitulons, je suis dans une auberge, dans un lit mais nu comme un ver et sans vêtement. Joie. Je prenais tout de même le temps de me recoiffer avant de chercher dans un commode sil y avait des habits disponibles à ma taille.
Ce que j'avais trouvé dépassait toute mes "espérance". C'était une robe rouge, une ROBE ROUGE ! Bon, Amina, tu es quelqu'un de fort, beau et intelligent, autant aller jusqu'au bout ! J'enfilais cette robe sans avoir de sous vêtement et je décidais de voler le maquillage que j'avais repéré dans la chambre d'à côté pour le poser sur mon visage. Après quelques manipulations quoiqu'un peu maladroites je ressemblais à une belle femme avec une moustache et des poils aux jambes. Je sortais par la fenêtre pour me retrouver en plein milieu de la rue commerçante, il me fallait un tailleur et vite même si je n'avais pas un rond. Il y avait des regards posés sur moi et même des hommes qui semblaient me désirer, le positif était que le corps de mon "ami" avait été embarqué durant la nuit, il y avait même des rumeurs qui circulaient. Dans quoi je me suis encore embarqué....
Respiration hachurée et stress en constante élévation. C’était ainsi que vivait présentement Trudi, laquelle ne pouvait faire un pas de plus sans trembler, elle qui avait toutes ses pensées dirigées vers un seul et même point. La foule trop dense qui menaçait d’envahir son échappatoire d’une minute à l’autre. Là, adossée contre un mur, l’Ermite reprenait son souffle, tâchant de ne prêter attention aux regards curieux des passants à son égard. Elle ne désirait aucune aide et préférait qu’on la perçoive comme une malade condamnée que comme une pauvre jeune fille à aider. Fuyiez-moi semblait hurler ses yeux. Après tout, condamnée, elle l’était depuis son entrée au sein de l’Ordre.
Pourtant elle savait que rentrer les mains vides serait le symbole de son inutilité. Elle désirait avancer, quelque part. Loin de tout, mais concentrée sur elle-même. Ne plus penser à la guerre, à la mort e au désespoir. Ne pas se laisser sombrer dans une quête impossible à résoudre. Il fallait qu’elle lutte pour son propre confort. Il n’éait plus question de la sécurité d’Aziel, cette fois. Mais de la sienne. La difficulté de la lutte résidait en son envie biaisée de s’y adonner. Pourtant là encore, le choix lui manquait. Autrefois ledit choix était ordonné, cette fois-ci, matérielle. Que n’aurait-elle pas donné pour être déjà rentrée…
Pourtant, pas une force qu’elle s’ignorait posséder, Trudi amène la motivation à secouer son corps afin de quitter son adossée. Toujours tremblante, elle fixe le sol de pavé pour mieux continuer son œuvre. Désespérée. Tant et si bien qu’elle manque de percuter quelqu’un. Par réflexe surhumain ; travaillés comme la pierre de leurs mains, elle se recule d’un pas ample, en proie à une panique légère.
Mais ce qu’elle voit à au moins le mérite de lui retirer toute noire pensée. « Excuses-moi Madam-… Monsieur ? Madame ? » Voulant bien faire, montrer patte blanche, l’Ermite ne sait désormais trop comment se conduire avec l’individu en face d’elle. Loin de désirer se montrer irrespectueuse, elle est pourtant bel et bien… Perdue.
