Tu sais...
J'ai toujours été seule...
Mais avec toi...
C'était différent.
Alors pourquoi?
Quand on grandit dans la famille des dan Zadriel, il faut s'attendre à ce que tout soit différent. Il faut s'attendre à ne pas avoir sa place parmi la plèbe. Il faut apprendre à être fort et droit. Toi, tu as essayé de passer bien au-dessus de tout ça. Tu as tenu tête bien des fois, tu as provoqué la colère de père à de nombreuse reprises et tu as toujours tenu bon. L'on aurait dit que tu prenais mes caprices pour en faire les tiens. Tu te mettais dans des fureurs monstrueuses en criant haut et fort ce que tu pensais, tout ça dans l'unique but de me protéger, tout ça pour me laisser vivre. Tu me laissais dans ma bulle d'innocence alors que je devais découvrir une dure réalité. Tu me couvrais le visage pour m'empêcher de me percuter à ce dont tu voulais me préserver. Tu étais ma plus grande amie, mon protecteur, mon rocher. Tu étais à moi.
Alors pourquoi m'as-tu quittée?
Eléanor...
Je ne suis pas née dan Zadriel. Je ne suis de nulle part. Un berceau abandonné. Un poupon pâle et perdu dans un milieu où le soleil éclatait, au bord de la déshydratation. La Destinée ne m'a pas rappelée aux Ruchs, va savoir pourquoi...
J'ai été trouvée par une mère et son premier fils, celle qui me donna le nom d'Ehléa, celle que j'ai appelée maman durant mes cinq premières années. Elle était une beauté complexe et ensorceleuse, d'une gentillesse incommensurable. Une femme douce et intelligente comme l'on en voit si peu. Elle aurait aimé avoir plus d'enfants, elle n'a donné naissance qu'à un seul et unique garçon, elle m'a trouvée et m'a prise comme la sienne, sans rien savoir de mes origines. Je pense qu'elle m'aimait comme si j'avais été la chaire de sa chaire. Elle est partie bien trop tôt suite à une malformation de son cœur. J'ai toujours imaginé qu'il était bien trop gros que pour un être si frêle et que ça avait du la consumer beaucoup plus vite que la moyenne... ou la Destinée se voyait mal être autant distancée par un être mortel. Aurait-elle été jalouse?
Mon père, descendant de la lignée des dan Zadriel m'a apprécié aussi mais pas pour les mêmes raisons que sa femme... Il voyait en moi quelque chose de bien plus riche qu'un simple lien familial, j'étais particulière et aujourd'hui encore, son regard n'a pas changé... Il attend.
A l'âge de mes sept ans, ma peau blanche ne semblait toujours pas s'être adapté au climat désertique d'Esram, mon père dû m'envoyer à Anthipre, dans une de ses villas. Là-bas, il venait régulièrement me voir accompagné de mon frère mais il me laissait régulièrement entourée par une dizaine de servante toute au petit soin avec moi. J'apprenais à lire, écrire, étudier. Je devais être une digne descendante même si je n'étais pas du même sang que cette grande famille. J'étais studieuse et pleine d'envie, j'étais un vide qu'il fallait combler de savoirs. Je parlais peu aux suivantes, je me cantonais aux exercices que l'on me demandais. J'apprenais les bonnes manières et les arts. Je voulais ressembler à ma mère...
Puis tu es arrivée.
L'innocence est telle une perle
Une fois qu'elle a perdu son éclat
Il est difficile de la refaire briller...
Tu m'a souris. J'ai cru revoir ma mère. Une bonté infiniment profonde qui semblait m'avaler. J'avais le cœur serré quand je te voyais d'une douce mélancolie. J'allais me blottir contre toi pour que tu me rassures. J'allais te déclarer des poèmes et te donnais tout l'amour que j'avais gardé bien précieusement au fond de mon être. Tu devais être de dix ans mon aînée et pourtant, tu me parlais comme si j'avais été ta plus fidèle amie. Je refaisais le monde avec toi, je t'aidais dans tes tâches délaissant ce que mon père avait prévus comme leçon. Je voulais que ce temps dure toujours. Je voulais que tu restes mienne à jamais. C'était mon souhait le plus cher. Je m'étais attachée comme je ne l'avais plus fait.
Au fil des années, j'ai grandi à tes côtés, tu me faisais sortir en cachette, je voyais le monde qui existait autour de la propriété que je connaissais tant. J'ai appris à courir, à me cacher, à rire, à jouer, à m'amuser. Follement. J'apprenais à vivre à tes côtés. Et c'était merveilleux.
C'était notre secret.
Rien qu'à nous.
Quand mon père venait, je me faisais grondée car les leçons qu'il avait désignées pour me former n'avait pas été réalisée correctement, je ne progressais plus comme il l'entendait. Tu rétorquais que j'avais besoin de souffler, d'aimer, de vivre un peu ma vie. Tu hurlais à plein poumons prenant la défense de mes droits d'enfant. Tu n'as jamais lâché. Le soir, quand il repartait dans ses quartiers, tu venais me couvrir d'un droit et tu me consolais, enroulée dans ce linge réconfortant tout en me serrant contre toi, me rappelant que je ne devais écouter que mon instinct, que la vie ce n'était pas que derrière un pupitre. Que je n'étais pas destinée à tout cela. Je devais suivre une voie, la mienne.
Et puis j'ai grandit, j'ai fait de mon mieux pour combler les attentes de mon père et sourire afin de profiter de chaque instant avec elle. J'y mettais tout mon cœur, toute mon âme.
A croire que ce n'était pas suffisant...
J'aurais tellement aimé lui dire...
Ne me laisse pas.L'année de mon quatorzième anniversaire, alors que la guerre touchait Anthipre dans une dernière déflagration, je ne sais pas ce qu'il m'a pris... J'étais partie en quête d'un cadeau pour sa fête, la guerre me paressait tellement lointaine...
Ce sont des escadrons entiers qui sont arrivés sur la ville, la guerre touchait presque à sa fin. Ils devaient frapper le plus fort possible, faire le plus de dégâts. Un ultime coup pour faire trembler Aziel. Je ne sais dire pourquoi... mes jambes ont bougées seules. Les paroles de celle que j'aimais me semblait claires... Suivre mon instinct. J'aurais du fuir comme toute personne ayant un sens de survie. Pourtant, je n'ai pas su... Je ne voulais pas me battre, je voulais juste sauver une enfant comme ma mère l'avait fait.
Je pouvais l'atteindre. Alors j'ai couru. Je n'ai jamais été bonne pour courir. Je manque cruellement d'exercices. Je suis meilleure pour tout ce qui touche à l'esprit. Je le sais, alors pourquoi?
Tout a été extrêmement rapide. Des étincelles, une silhouette, une épée de foudre. J'ai du recevoir un coup à la tête car tout s'est brouillé autour de moi. A mon réveil, les derniers soldats ennemis avaient tous été décimés. J'étais dans mon lit. Une de mes suivantes me parla de l'Ordre, du chevalier qui m'avait protégé. Je ne l'ai pas vu. Et à vrai dire, ses paroles n'avaient pas d'importance.
Où est Eléanor?
Pourquoi n'était-elle pas à mon chevet? La femme eut un air grave, elle baissa le regard. J'ai répété ma question, prise d'une terrible angoisse. J'avais l'impression de me perdre dans un tourbillon d'anxiété. Alors que j'avais failli perdre la vie, je ne pensais qu'à elle. Mon père entra alors dans cette chambre qui me paru soudainement extrêmement vide. Jamais il ne m'avait touché. Jamais sauf cette fois.
Tu ne la reverras plus jamais.
Il hurlait. Il déblatérait des mots que je ne voulais pas entendre. Il disait que j'avais perdu la tête face à toutes ses histoires, qu'elle m'avait transformée. Que ma place était dans cette villa dorée, que plus jamais je ne sortirais. J'étais devenu un oiseau privé de ses ailes. J'étais perdue, frêle, sans sortie de secours.
Où est Eléanor?
Je tremblais. J'avais l'impression de décrocher ma dernière feuille avant de finir à nu, comme un arbre en hibernalis. J'étais seule. Comme ce jour là. Je ne contrôlais pas mon destin. Je ne contrôlais rien du tout. Mon père tourna les talons me laissant sans réponse. Je savais très bien ce qui lui était arrivée. Je ne voulais juste pas m'en rendre compte.
J'aurais juste aimé lui dire.
Juste une fois.
On pourrait penser que mon histoire s'arrête ici mais j'ai aujourd'hui dix-sept ans, j'atteindrai bientôt l'âge adulte. Je me suis consacrée sur les études et j'ai bien l'intention de quitter cette cage dorée que mon père à resserré sur moi. Je n'ai pas oublié... Toutes les promesses passées. J'ai juste beaucoup de choses à remettre en ordre dans ma vie. J'ai des sentiments qui perdurent, des angoisses qui résistent, je ne connais rien du monde qui est sorti de la guerre. Même si je suis enchaînée, je ne compte pas le rester indéfiniment. Je n'ai cependant plus envie de m'attacher en vain comme j'ai pu le faire...
Mon paternel m'a assigné une nouvelle suivante, ou plutôt un nouveau suivant. Oui, un homme. Avec un certain caractère. A mon grand regret. Il est quelque peu... autoritaire? Sûrement à la demande de mon père...
J'ai l'impression d'attendre quelque chose depuis ce jour là.
J'ai l'impression d'entendre le destin me murmurer.
J'ai l'impression d'avoir quelque chose à entreprendre.
Je n'ai juste pas encore trouvé de quoi il s'agit.
Je partirai en quête pour le savoir.
Ma place n'est pas ici.
C'est tout ce dont je suis certaine.
Alors à toi mon amie. Ma tendre.
Je t'aime